Seconde partie : les 7 tâches !

   4Ite Missa est…  le rôti est cuit !

La coccinelle profita de la communion pour rejoindre la manche de l’abbé, le meilleur tremplin pour s’inviter à midi. Mais qui choisir, sur quel critère ? Sur la beauté des mains qui se tendent ou sur les langues qui se tirent et s’étirent en grimace ?  Quelle drôle de chose : il n’y a bien qu’à l’Église que l’on tire la langue en signe d’accueil et qu’on lèche les doigts de l’abbé ! 

Elle se décida à compter jusqu’à 7 et la septième personne qui se présentera sera son hôte ! Elle ferma les yeux et au 7ième Amen, elle sut immédiatement qu’elle se rendrait chez une jeune femme blonde. Coccinella septem-punctata a la rare capacité de reconnaître la couleur des cheveux d’une personne au son de sa voix… La coccinelle voyait maintenant, en face d’elle, cette jeune femme tirer une longue langue lilas cerclée d’un discret rose à lèvre, sur laquelle l’abbé lui colla une pastille ronde et blanche. Elle accomplit alors une profonde et digne génuflexion. Et voila ce fut l’heure de la plongée dans l’inconnu. La coccinelle s’en allait maintenant agrippée à un blond  cheveux de cette femme. Ite Missa est… 

La coccinelle passa à table chez les Blondet avec la ferme intention d’en faire le tour ! En entrée, une prière (encore une !) dit en chœur par toute la famille : le père et la mère, Pierre-Manuel le fils aîné presque 18 ans, sa petite soeur, Maude et son jumeau Alexandre, 16 ans, sans oublier Julie, 10 ans, la petite dernière, enfin pour l’instant, car il semblerait bien qu’il y ait anguille sous roche.

A table on fit une petite rétrospective spiritualo-morale de la semaine. C’est Pierre-Manuel qui se fit entreprendre sur ses notes insuffisantes. Puis après une entrée d’asperges - mayonnaise ce fut le rôti de veau aux olives, ancestrale tradition de la famille du côté d’elle ! Dans cette famille il y a les habits du dimanche, le rôti du dimanche, les croissants du dimanche et la morale de la semaine comme à l’Église il  y a les annonces du dimanche et de la semaine !

La coccinelle fatiguée préféra entreprendre une escapade dans la maison laissant les acteurs à leurs rituels ennuyeux : «Tiens-toi droit, mets pas tes coudes sur la table, tu as assez bu, finis ton pain. Hé ! je n’ai pas entendu le petit mot qui fait plaisir »…


Copyright F Robin

Destination la chambre de Pierre-Manuel. Au mur: poster de Jean Paul II, foulard des JMJ et étagères de trophées des sorties catho. de ce jeune homme… Photos bizarres, statuette de la Vierge de Lourde avec tête qui se dévisse, ordinateur à l’écran de veille « calvaire-breton-3D. » Livres. Collection de croix potencées, de Saint André et même gammées… Lit impeccablement fait. Affaires rangées. J’inspectai la chambre du jeune homme quand il rentra. J’ai sursauté comme si j’étais surprise en flagrant délit d’indiscrétion. Mais je me ressaisis aussitôt, c’était mon devoir et ma mission et de surcroît il ne me voyait pas. Moi oui ! Et je vois le jeune homme s’effondrer sur son lit et éclater en sanglot. Je décidai d’aller voir de plus près l’état de son cœur. J’étais maintenant rôdée à cette technique. Sortir mes petites griffes, creuser à peine un pore de la peau et y introduire mes instruments investigateurs. Il y avait une tempête sous son crâne. Je voyais au fond de son cerveau défiler le visage sévère de son père, celui silencieux de sa mère, une croix surmontée d’un panneau, « privé de sortie ! », des fleurs, des orties, (tiens me dis- j’adore les orties moi !) … Sur cet arrière fond se détachaient  une jeune fille et un jeune homme enlacés, largement dénudés. Cette jeune fille je ne l’avais jamais vue, mais je devinais le visage de Pierre-Manuel, bien que je le vis comme à travers une vitre de voiture, un jour de pluie, lorsque l’essuie-glace ne fonctionne pas. Je me retirais sur la pointe des pattes…

Et je décidais d’aller poursuivre l’inspection de cette maison. Comme je sortais de la chambre j’aperçus par terre un cahier à spirales. « Vis ta Vie » calligraphié à la main… Par curiosité je décidais de m’adonner à un petit jeu appris quand j’étais petite. Dévorer les mots qui s’enchaînent. Rien de tel pour suivre le fil d’une histoire…  Je commençais mon chemin silencieusement, grignotant les mots un à un. J’apprenais à connaître ce jeune homme, ses goûts, ses questions. ses fantasmes. Seigneur !  Soupirai-je à haute voix !

-         Oui !  Je suis là…  dit-il dans un grésillement de l’oreillette.

-         Ah pardon, Seigneur, je ne savais pas que vous étiez en direct !

-         Je suis avec toi, tu fais du bon boulot !

-         « Seigneur qu’est-ce qu’il y a comme fouillis sur une route d’ado. »

-         Oui je sais, répondit Dieu de manière laconique, pour faire un homme que c’est long !

-         Au secours,  cria la coccinelle ! Je suis perdue.

Elle venait de pénétrer dans un tag dans lequel elle ne retrouvait plus son chemin. Elle décrochait, s’excusant auprès de Dieu, pour passer à une autre page et reprendre sa lecture-dégustative.

« Je sais bien ce que je devrais faire mais je ne sais pas ce que je ferais car je sais trop bien ce que je ne voulais pas faire mais que j’ai fait quand même. Tu honoreras ton père et ta mère. Mon père ? Bah j’ai vraiment envie d’aller lui dire ‘Mon Père donne moi le fric qui me revient, j’ai besoin de prendre l’air, de partir de mener ma vie, tu m’étouffes !’  Mais je n’oserai jamais lui dire !  Comme me dit mon cousin, ‘toi, t’as pas couilles !’ Qu’est-ce qu’il en sait, d’abord ! Moi je sais. Et je ne suis pas le seul à le savoir… Julie le sait aussi… Le seul préservatif autorisé par le pape, mon père et ma mère c’est le 10ième commandement scout dont nos chefs et l’abbé de Bobrin nous ont bourrés le mou : « Le scout est toujours pur. » Heureusement cher cousin que tu m’as fait découvrir le bon goût de….. il n’y avait plus de mot …..la coccinelle suivait maintenant le contour parfaitement dessiné d’une feuille végétale. Elle fut toute confuse en croyant avoir à faire à une feuille d’ortie alors que manifestement y avait là du Cannabis… Et le texte de Pierre-Manuel continuait avec des mots : bah, je n’en ferai pas ma tasse de thé ! Mais cette nuit-là, entre copain, les feuilles bien roulées étaient sublimes ! Tu ne fumeras pas. Tu ne boiras pas. Tu ne rentreras après minuit… Tu ne feras pas ceci … »

- Merde ! lâcha la coccinelle encore une tâche d’encre ! J’en ai plein le dos des taches ! Cet air confiné entre ces pages me donne mal à la tête. Allez en route au grand air… Balade du Dimanche. Je sortis par le haut de la spirale et je décidai de m’envoler à l’aventure. Toutefois je pris la précaution d’avertir le ciel que j’allais traverser un tunnel ! Bon prétexte pour me permettre de couper les émissions quelques instant ! Le temps de redonner un peu d’envergure à mes ailes; donc opération retour au visible, attention ce n’est pas sans risque.

Je n’avais pas encore fini de trouver ma taille normale que je sentis les doigts de Pierre-Manuel me saisir délicatement… mais ce qui est gracieux pour lui est brutal pour moi. Le bougre il avait cessé de déprimer et venait de me repérer ! Je le regardais droit dans ses yeux rougis. Lui aussi me dévisageait. Ses larmes avaient cessé de couler. Il y avait même sur son visage un trait de lumière que je n’avais point encore vu chez lui. Il semblait me parler et je semblais lui répondre. Nos deux monologues se croisaient…

« Que fais-tu là jolie Coccinelle ? Tu as de la chance, tu es proche de Dieu toi. »

« Je suis venue pour te connaître. Et j’ai appris tellement sur toi en quelques minutes. Un univers en lignes. »

 « Mais pourquoi es-tu venue te perdre dans mon univers, il n’y a rien d’intéressant ici ?

C’est fou lorsque l’on ne s’arrête pas à la surface des choses et que l’on réussit à casser la gangue qui l’enserre comment le fruit est tendre à l’intérieur !

Il ne faut pas se fier aux apparences tu sais car…

C’est ce que je te dis !

Car non, il n’y a vraiment rien de bon ici, ni en moi d’ailleurs.

Rien ? Je ne crois pas. Au contraire il y a en toi un sacré combat ! Une énorme tension qui te tire vers la vie et vers la mort, tu es entre les deux, tiens bon ! Vivre, n’est ce pas gagner pas à pas contre la mort ? 

Allez va, petite coccinelle la liberté est juste là au bord de la fenêtre.

Et tu es avec moi au bord de la fenêtre !

En effet il m’avait porté jusqu’au bord de son univers. L’horizon ouvert j’eus à peine le temps de lui faire un sourire et de percevoir son visage maintenant épanoui qu’il me gratifiait d’un élan plus fort que toutes les poussettes du Tour de France… S’il avait cette énergie à me communiquer, je pouvais partir sans crainte !