3 - L’heure de la Messe-

Tout se passait bien. La coccinelle avait copiné avec l’organiste. Ils avaient tout pour s’entendre. A chacun ses tâches, l’une jouait avec 7 points noirs et l’autre avec 7 notes ! Seule différence le clavier était assorti au curé en noir et blanc alors que notre « oiseau de la Vierge » ressemblait aux joueurs de foot du stade rennais !  Tout se passait bien, oui, sauf que la coccinelle commençait à s’ennuyer dans le ronron liturgique. Elle soupira: « Il manque un peu d’action… de grâce ! »

 Contrairement à ce qui se passe d’habitude sur la terre des hommes, le sermon la sortit d’un début de léthargie. Il faut dire que l’Abbé, ce dimanche a mis la dose ! Chacun savait que ce n’était pas un rigolo et que l’on ne badinait pas avec les affaires du Bon Dieu... Mais à ce point ! Avec ce côté sûr de lui qui le caractérisait, il parlait, fustigeait même celles et ceux qui ne pensent qu’à rire dans la vie:


« Allons donc, Frères et Sœurs, ne vous laissez pas emporter par les plaisirs immédiats et sans lendemains. »
Une petite toux sèche de l’abbé à ce moment du sermon n’échappa nullement à la coccinelle pas plus d’ailleurs qu’aux observateurs célestes qui eurent un regard de connivence ! Il continuait : 

«  Ayez en vous de la compassion, cessez de rire avec ceux qui rient de tout et de rien, ne croyez pas les vendeurs de bonheur illusoire qui veulent faire croire qu’un éclat de  rire vaut un bon bifteck. Ne vous préoccupez pas d’avoir une tête de ressuscité mais bien plutôt d’avoir des épaules solides et capables de porter les croix ! D’ailleurs avez-vous vu Jésus rire dans les Evangiles ? Pleurer, oui ; se mettre en colère, oui ; être en désaccord sévère avec les pharisiens oui ; mais rire ou même sourire, jamais ! »

 La Coccinelle avait l’assemblée en ligne de mire. Elle décryptait les regards, les moues, les rictus mais souriaient en voyant les sourires ironiques ou oniriques, de satisfaction ou de réprobation se dessiner sur bien des visages ! Décidemment le sourire est plus fort que les mots !

 Cela inspira à notre Coccinelle de partir faire un micro-trottoir dans l’assemblée. Elle repéra ceux qui faisaient quelques commentaires pour aller accomplir son travail d’espionnage !

 « Parler pour ne rien dire est grave. Parler pour ne pas rire est impardonnable ! » (Berloquin)

« Cana ce n’était pas triste quand même! »

« Et oui, en plus Jésus était un bon vivant venu mangeant et buvant ! Tu n’as jamais vu un homme de bonne chaire au regard abattu, au moins avant qu’il ne soit devant l’uniforme qui tient à la main l’alcotest ! »

Après ce petit tour dans l’assemblée elle retourna patiner sur la calvitie de Pierrot en se remémorant cette pensée de John Fitzgerald Kennedy : « Il y a trois choses vraies: Dieu, la sottise humaine et le rire. » L’Abbé, qui avait toujours du mal avec la Trinité, nous signifie admirablement les deux premières mais il nous oblige à nous arranger au mieux avec la troisième !

Ce que la Coccinelle n’avait pas encore découvert c’était certains livres dans la bibliothèque de l’Abbé. Faut dire qu’elle n’était pas particulièrement intellectuelle, la Catherinette !

Il y avait en effet presque en permanence sur la table de travail de l’abbé

un livre de Monseigneur Arnaud de Vilmorin «  Si le grain ne meurt : semences de professionnel », un livre en vogue dans les milieux conservateurs qui proposait une réforme des séminaires et surtout une politique agressive pour que la petite graine que papa dépose dans maman s’épanouisse en vocation sacerdotale ! C’est peut-être le chapitre sur le sourire, page 385, qui avait inspiré l’abbé dans son sermon.

« Le sourire est séduction, le sourire empêche le combat !

Le Christ a besoin de soldat, l’Evangile d’aventuriers, de mercenaires !

Ne nous contentons pas d'attendre assis dans le canapé

un livre à la main les yeux rivés sur l’écran qui régurgitait les sacrilèges  des humains.

Malgré tout, nous le savons bien, nos contemporains sont remplis de questions sur la vie, Dieu, l’avenir … mais ils ne viendront pas à nous !

Alors allez vers eux, sans peur, sans complexe

aller au devant d’eux sans crainte de proposer, de bousculer,

sans attendre d'avoir tous les moyens à votre disposition.

Sans courir de formation en formation, de réunion en réunion.

Est‑ce qu'on va attendre d'avoir les accompagnateurs idéaux pour se lancer  à leur conquête?

Ne pensez pas d'abord aux moyens, l’Esprit de Dieu veille !

Parents, inculquez à vos garçons ce goût de donner leur vie dans le sacrifice du sacerdoce !

Ne dites donc pas que « de toute façon ce n'est pas possible »

Soyez attentifs, allez, prenez le devant, 

Rassemblez 2 ou 3 jeunes qui se posent des questions ! Et c’est parti !

Communiquerez leur l’alpha du catéchisme et la force de la Sainte Messe. Amen ! »

L’antenne collée à quelques millimètres du cerveau de l’organiste la coccinelle percevait maintenant tout ce que le musicien pensait tout en jouant… 

… « Attention, Pierrot c’est à toi, disait-il dans son for intérieur. Il va falloir que je les réveille tous, aujourd’hui. Sans rire ! pouffa-t-il intérieurement ! Allez c’est parti.   Je mets la sauce... Tiens la mère Lepaul est encore en train de se gratter le nez.  Oulala ça ramone haut aujourd’hui. Elle se pomponne, se maquille mais elle ne peut pas s’empêcher de s’enfoncer l’index au fond de la fosse nasale. A croire que la parole de l’abbé la chatouille ! ....  . « Tiens, à cette heure-ci mon grand

escogriffe de fils doit émerger de sa sortie en boîte. Oh il est déjà loin le temps où il venait faire un quatre mains avec moi pour la gloire de Dieu ! »

      « Hé l’abbé, qu’est ce que tu as à viser ta montre!  Tu n’es pas au bout de tes peines, aujourd’hui je joue du Ludwig Van Beethoven avec point d’orgue et da capo !

« Ce sourd de Ludwig entendait l'infini ! » Alors écoute l’abbé !  Oh, tiens ça me reprend, j’ai le dos qui me gratte ! Aie, Aïe, Aïe, ça recommence et je n’ai pas de kit main libre sur ce clavier ! »  La petite coccinelle sortit ses instruments de repérage et fonça au point incriminé : au milieu du dos de Pierrot, pour le soulager ! Elle entendit un ouf d’apaisement et remonta illico vers le cerveau pour capter les pensées secrètes de l’organiste…  « Mais enfin que fait ce gamin à courir partout ? Que font ses parents abîmés en méditation, eux ils touchent à l’infini ! Ils ne voient plus rien,  n’entendent plus rien ! Ils sont transportés ! Ah ces cha-cha toujours la tête dans le ciel à mille pieds au-dessus des choses de ce monde … Vlan !  Le livre voltige. Bronche pas papa ! Dieu t’aime et tout le monde adore ton fils qui donne du rythme à ma musique… Mais il va finir par couvrir mes notes ! Avant que l’abbé ne se fâche, ça c’est cinglant… je remets la sauce … pour Dieu aussi et pour les faire revenir sur terre !