La légende du thé !

 ... Légende


 

Depuis de nombreuses années Bodhi-Dharma voyageait.

Il avait franchi les montagnes les plus escarpées, traversé les fleuves les plus profonds et les torrents les plus tumultueux. Il avait vaincu la fatigue, le froid, la chaleur et la faim. devant lui les tigres et les panthères s'inclinaient, dociles comme l'agneau; et les caïmans pleuraient d'attendrissement voyant passé le saint bodhisattva.

Dharma partit des bords du Gange, arriva dans l'Empire Céleste et se présenta devant

Il vanta les délices et la paix du Nirvâna futur auquel toute âme doit aspirer.

 

Il expliqua les "Quatre Excellentes Vérités"
et tous les "Bon Chemins" que le Bouddhiste doit connaître
afin d'arriver à la perfection suprême
par les voies les plus rapides.
Dharma prêcha l'exemple.
Sa vie était remplie par la prière,
le travail, l'étude et la méditation.

Dès que l'aurore joyeuse écartait les voiles de la nuit, Dharma partait.
Il allait par monts et par vaux, un bâton noueux à la main, courbé sous le faix des années nombreuses, le front plein de pensées profondes, incliné vers la terre. Il portait à tous, la bonne parole,chaque jour plus affranchi des liens du Samsara (monde matériel) . 
Peu à peu cependant, Dharma faisait moins longues ses courses journalières, ses jambes devenaient molles et tremblantes.
Aussi Ming-Ti, le Fils du Ciel, avait prié le vénérable ascète de traduire en langue chinoise les livres sacrés de l'Inde.
Dharma, obéissant, s'était mis à l'oeuvre. Tout le jour, penché sur ses précieux manuscrits, il transcrivait les caractères mystiques.

La tâche était énorme; mais la vertu et le courage de Dharma ne se rebutaient point.

Au crépuscule, après un léger repas, Dharma commençait sa méditation nocturne. Pétrifié en une immobilité parfaite, ses longues mains unies, ses paupières abaissées, le Très Sage ouvrait ses "yeux de l'âme" sur les félicités célestes.

Rien ne pouvait interrompre ses volontés sublimes: ni le chant des oiseaux, ni le rugissement du fauve, ni le vent, ni le fracas du tonnerre.
Dharma avait connu la faim, il l'avait méprisé; il avait connu la fatigue et l'avait surmontée; il était sorti victorieux des tentations charnelles; il avait supporté le froid des hivers himalayens et la langueur brûlante des étés ardents.

Dharma connut le sommeil et le sommeil terrassa Dharma .
Au milieu d'une magnifique extase, Dharma s'endormit.

Lorsqu'il s'éveilla, le soleil, déjà haut sur l'horizon, semblait lui reprocher son indigne faiblesse. Les oiseaux pépiaient gaiement,
et Dharma crut à leur ironie...Il s'humilia, le front dans la poussière, et conjura le Ciel d'avoir pitié de lui.Afin d'obtenir son pardon, Dharma redoubla de ferveur,de rigueur dans ses mortifications
...

Ce jour-là, Dharma travailla avec plus d'ardeur aux traductions sacrées; son esprit semblait alerte et le travail saint paraissait se faire par miracle...

Quand les ombres de la nuit enveloppèrent le monde de leur opacité,

Dharma reprit la méditation de la veille, -méditation si malencontreusement interrompue. O confusion! Dharma s'endormit de nouveau!
Au réveil la peine du sage fut immense...
Il se serait désespéré si un bodhisattva pouvait admettre le désespoir.
Que faire pour empêcher le sommeil maudit de vaincre la volonté puissante?
Que faire pour rester éveiller malgré la fatigue d'un long apostolat?
Que faire, pour continuer, sans interruption,les exercices pieux d'un ascète très pur?

Comment défendre à ces paupières lourdes, -oh si lourdes! - de se fermer et d'éteindre les lumières venues d'En-Haut ?
Tout à coup, un doux sourire vint fleurir sur les lèvres pâlies de Dharma.
Ce sourire éclaira le visage fané et les yeux navrés :
Dharma avait trouvé!

Très simplement, avec cet héroïque courage que donne le mysticisme, Dharma coupa ses paupières et les jeta à terre.

Le Tiên , (ciel) eut pitié de Dharma et voulut récompenser son héroïsme.

Les paupières du Très Sage s'enracinèrent soudain dans le sol, ainsi que le fait une semence généreuse.
Cette sanglante semence germa pendant la nuit; un gracieux arbrisseau sortit de terre.
Sa méditation terminée, Dharma passa près de l'endroit où la veille, il avait jeté ses paupières. Ses yeux mutilés s'abaissèrent... Les paupières avaient disparu; mais à leur place Dharma vit le bel arbuste issu de leur substance, issu de son propre sang, de sa chair vaincue, de son esprit victorieux.
C'était une plante magnifique au feuillage touffu,
aux jolies fleurs blanches et parfumées;

C'était le premier arbre à Thé. Dharma restait ébloui par cette incroyable merveille... Et le Grand parla:
"O Dharma! Ton sacrifice m'a été agréable
comme tes saintes méditations me plaisent.
"Très prochainement tu auras atteint au Nirvâna,
tu deviendras bouddha parfait.
"En attendant pour ne pas interrompre par le sommeil tes méditations divines, mange les feuilles de l'arbre miraculeux: tu ne succomberas plus sous le poids du labeur quotidien.
Ton corps sera fortifié, ton esprit plus clairvoyant.
Que la grâce du Tiên se répande à flots sur toi et mon fils très illustre!"
Dharma obéit !


Contes et Légendes de l'Annam. A Challamel Editeur Paris - 1917